Libéré en 1944, Paul va donc passer les années d’après-guerre dans la troupe du Patron, Louis Jouvet, jusqu’à sa mort en 51. Au-delà des anecdotes, l’évocation de Jouvet au quotidien par un jeune comédien de l’époque permet de découvrir sa dimension humaine, et l’authenticité des rapports d’un directeur de troupe avec tous ses collaborateurs, des auteurs aux techniciens.
Témoignage souvent drôle, souvent aussi ému, évocation des tournées et des répétitions, ces quelques minutes nous font revivre de façon inattendue l’une des figures les plus imposantes du cinéma français. Et si l’ombre de Jouvet plane encore sur de nouvelles générations de comédiens, c’est peut-être que de son vivant, il a toujours considéré les jeunes débutants comme des partenaires à part entière de l’aventure collective qu’est le théâtre.
En 2001, 50 ans plus tard, Paul, toujours vif, continue d’exercer régulièrement son métier de comédien à 82 ans. Il s’attarde ici sur celui qui lui a ouvert la porte de l’Athénée et avec qui il a voyagé à travers l’Europe et l’Afrique.
SYNOPSIS
Louis Jouvet vu par Paul Rieger, réalisé par Marc Salama.
Carte de la tournée de Louis Jouvet en Amérique du Sud, entre 1941 et 1945 : quatre années éprouvantes à tous points de vue pour sa troupe. Retour à Paris, à l’Athénée, dans le quartier de l’Opéra, certains comédiens ont quitté la troupe, mais Jouvet a décidé de monter « La Folle de Chaillot » de Giraudoux . Il fait appel au public par voie de presse pour récupérer de vieux vêtements, tant ses finances sont au plus bas.
Entre à l’Athénée, un jeune apprenti-comédien, Paul Rieger, qui nous présente la troupe à partir de 1945 à travers la photo d’une lecture de la pièce de Giraudoux : au centre, Raymone , compagne de Blaise Cendrars, a eu l’idée de présenter Paul au Patron, à son retour de captivité. Prisonnier au stalag pendant 4 ans, Paul Rieger a appris à chanter et à jouer la comédie ; il y a aussi rencontré un certain Bernard Blier… A leur première entrevue, Paul montre à Jouvet les photos des pièces montées là-bas, avec de fabuleux décors fabriqués avec les moyens du stalag et… tous les rôles de femmes tenus par des hommes, évidemment.
Puis Paul Rieger évoque la mémoire du Patron, comme Jouvet aimait se faire appeler, à partir d’interviews en studio et chez lui, illustrées par des photos personnelles et inédites pour l’essentiel, mais aussi par des programmes de théâtre de l’époque ou des dessins de Victor Bérard, décorateur attitré de Jouvet. Paul raconte l’amitié profonde qui unissait Jouvet et Giraudoux, et comment il faisait travailler ses textes aux acteurs ; puis la voix de Jouvet dans "l’Ecole des Femmes" rappelle l’événement théâtral qu’il a suscité et la modernité de cette entreprise.
Plusieurs anecdotes vécues par Paul Rieger en tournée montrent l’aspect humain et authentique de Jouvet : il demandait notamment aux jeunes acteurs de la troupe de noter son interprétation au risque de se faire déstabiliser, il fuit les hommages officiels qui le vénèrent dans tous les pays européens et du moyen orient, allant jusqu’à demander à Paul, lors d’une tournée en Egypte, de le débarrasser des importuns sous n’importe quel prétexte, ce que fit Paul comme au théatre !…
Pourtant, Jouvet est, pour Vincent Auriol, premier président français d’après guerre, l’ambassadeur du théâtre de France à l’étranger, le symbole du rayonnement culturel national ; Jouvet - et sa troupe - est le premier invité du festival d’Edimbourg en 1947 ; il organise en 1948 une énorme tournée en Egypte, emportant les décors de quatre pièces. Puis tournée en Italie, à bord d’un car dernier cri, enfin une serie de représentations à La Haye. Des moments chaleureux et drôles entre Jouvet et sa troupe : le Patron y est entier, passionné de théâtre, vivant, savamment grossier, en tout cas toujours juste humainement.
Inventif et non conformiste Jouvet va chercher son Sganarelle de « Dom Juan » au théâtre de boulevard, où Fernand René joue des pantalonnades. Il lui fait répéter le rôle dans son bureau pendant deux mois, et le comédien fait un triomphe. Jouvet le prend dans sa troupe, et lui fait tout jouer, y compris des rôles classiques. Et il le prend en charge humainement, quand il perd sa femme.
Jouvet au cinéma tourne des films pour faire tourner son théâtre, où les gens viennent le voir parce qu’ils le connaissent à l’écran. Son souci principal c’est sa troupe et jusqu’à la fin de sa vie ; il nourrit de jeunes comédiens en les payant dix mois sur douze. Il refuse deux fois la direction de la Comédie Française, qui veut lui imposer ses propres comédiens...
Humanité, drôlerie et la grandeur d’âme de Jouvet sont l’essence de ce témoignage ; éclairage inattendu, vue depuis l’intérieur par les yeux d’un jeune comédien conquis et perspicace, sur un personnage imposant et fondateur, dont la froideur n’était qu’une façade.